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de André LAFON :       

Lourd sommeil des maisons...

Commentaire de François Mauriac, en bas de page


Lourd sommeil des maisons dans les Sous-Préfectures,
Quand dix heures ont plu du clocher sur les toits ;
Sommeil que vient veiller la lune quelquefois,
Et que seuls les grillons bercent de leur murmure.

Silence de la rue angoissante, mystère
Des volets refermés où nul rayon ne luit,
Seuils ombreux et sournois d'où soudain le chat fuit
Au bruit dur de mon pas que la nuit exagère.

Les massifs endormis, par la lèvre des fleurs,
Exhalent des parfums ; de la campagne proche
Viennent ceux de la vigne et des foins... Les senteurs
se mêlent, enivrant l'air nocturne... Les loches
Doivent monter aux murs verdis dans la fraîcheur.

Mais voici, tout au fond d'un jardin d'ermitage,
Qu'une fenêtre s'ouvre aux langueurs de Juin ;
L'accord d'un piano s'élève, le feuillage
A frémi et mon coeur s'est ému, sentant bien
Quel tendre aveu dans la romance pèse et n'ose.
Et mon front s'est posé sur la grille où mes mains
Effeuillent sans savoir les rosiers et leurs roses.



        Cousin des grand-parents de Moshé Sarrazin (membre du cercle), André Lafon fut par ailleurs ami du romancier François Mauriac, lequel a écrit à propos de son ami défunt :
        "Ce mort ne m’a pas quitté un seul jour – depuis qu’il s’est endormi dans un hôpital de Bordeaux, un matin de mai, en 1915. Qui était André Lafon ? Je réponds d’abord : l’être le plus doux qu’il m’ait été donné d’aimer en ce monde. Mais sa douceur ne venait pas de sa faiblesse. Il existe comme une douceur de la force. La vraie force est douce. Tel est le sens de la « béatitude » : « Heureux les doux car ils posséderont la terre. » L’auteur de L’Élève Gilles a possédé la terre comme aucun autre homme que j’aie connu ne l’a possédée. […] Je n’ai pas eu d’ami plus pauvre qu’André Lafon et je n’en ai pas eu de plus comblé. Quand il se baissait pour ramasser une feuille d’automne et qu’il me la donnait « à cause de sa couleur », je confiais à un livre ce trésor irremplaçable. Il avait la passion des nuages. Il me disait : « Regardez ce beau nuage ! », et la merveille m’apparaissait dans le ciel, telle que lui-même la contemplait. C’était un poète – enfin ce que nous appelions un poète dans ces temps de ma jeunesse où Francis Jammes était celui qui avait ouvert nos yeux à la beauté du monde. […] Ceux de mon âge qui ne t’ont pas oublié t’ouvriront les bras. Ils te berceront et ce sera comme s’ils berçaient l’écolier qu’ils furent, si pareil à toi ; ils retrouveront sur ta figure chétive le goût des larmes de l’enfance, cette odeur de chair, de terre et de pluie."

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