YVES TARANTIK
L’hiver étant achevé
La fourmi fut confrontée
Aux mille travaux divers
Dont on ne saurait s’abstraire.
Un matin qu’elle s’échine,
Avec balais et chiffon,
Alentour de la maison,
Surgit une limousine
Et son chauffeur en livrée :
Bas résilles, rouge baiser,
Turban de soie à aigrette
Et long fume-cigarette
Tapoté négligemment,
Devinez qui la surprend ?
« C’est vous ? Je vous croyais morte,
Dit la fourmi froidement,
Quand j’ai refermé ma porte
J’ai pleuré les pauvres gens.
- C’est vrai. J’ai eu faim et froid
Et j’ai cru mourir d’effroi :
J’ai minci, dit la Cigale,
Désormais je me régale !
Car j’ai suivi vos conseils :
Je chante et danse aujourd’hui.
Dès demain je me marie :
Un Cigalon plein d’oseille
M’a promis monts et merveilles,
Et je pars vivre au soleil
Dans un château andalou ;
C’est à vous que je dois tout !
Ne vous mettez plus en frais :
Vous en avez assez fait !
Jouissez de votre labeur,
Je subirai mon bonheur ! »
Là-dessus elle se cale
Sur les coussins de velours
Et trois cents chevaux détalent
L’emportant vers ses amours.
La Fourmi est en alarme
Et saisissant son balai
S’écrie à travers ses larmes :
« La Fontaine, je te hais ! »